Pour beaucoup de gens, l’art humoristique est un art inférieur : seul le genre académique est grand et respectable !
Albert Guillaume

L’art au service de l’humour et de la satire sociale
Fils de l’architecte des palais nationaux, Edmond Guillaume, le futur caricaturiste nommé Albert naît en 1873. Il grandit dans une France faisant son entrée dans le monde du progrès et des grandes innovations techniques telles que l’aéronautique ou l’automobile. C’est également une période s’annonçant riche, car au sortir de la guerre franco-prussienne ayant signé la fin de Napoléon III, tout est encore à faire ! La presse et le monde de l’art ne sont d’ailleurs pas épargnés par ces multiples bouleversements. Après avoir été confrontée à la censure sous le Second Empire, la Troisième République se montrera quant à elle beaucoup plus clémente à l’encontre des artistes satiristes et caricaturistes tel que le deviendra Albert Guillaume ! Je vous invite à découvrir aujourd’hui le profil de cet homme qui aura marqué l’art de la Belle Époque, celle où tout était permis. C’est d’ailleurs grâce aux petits « feuilletons » humoristiques publiés dans les divers quotidiens que nous verrons émerger, bien plus tard, les bandes dessinées. Pourtant, comme l’a si bien avoué Albert Guillaume dans ses mémoires, cet art de l’humour a longtemps été considéré comme un art mineur ne nécessitant aucune reconnaissance de la part d’une classe intellectuelle surtout friande d’art académique. C’est sans-doute la raison pour laquelle vous n’avez jamais entendu parler de cet artiste avant d’ouvrir cet article ! Mais à travers les œuvres présentées par la suite, vous découvrirez à quel point les œuvres caricaturales, telles que celles d’Albert Guillaume, nous permettent aujourd’hui de nous plonger dans une société dont les manies, les bêtises et les maladresses, ne peuvent que faire échos à notre propre période.
Un artiste plein de malice !

J’ai découvert Albert Guillaume grâce au musée dans lequel je fais des visites guidées et m’occupe de créer les contenus scientifiques. Ce dernier possède quelques lithographies réalisées par ce caricaturiste. Celles-ci représentent notamment des scènes panoramiques de vénerie. Albert Guillaume avait pris l’habitude de suivre un équipage de chasse à courre et usait ensuite de son pinceau pour les immortaliser de manière drôle et satirique. C’est donc en étudiant ces œuvres que je me suis véritablement mis à apprécier cet artiste un peu oublié de tous, hormis de quelques afficionados amateurs de caricatures.
Albert Guillaume a littéralement baigné dans l’art et l’histoire depuis tout petit. Son père, architecte des palais nationaux, travaillait en effet au Château de Versailles, ainsi qu’au Musée du Louvre. Il est plus que probable que ce deuxième lieu eut une influence considérable sur lui. Sans compter les nombreux salons d’artistes auxquels il a sûrement dû assister durant toute son enfance, Albert Guillaume s’est peu à peu forgé une incroyable culture artistique jusqu’à vouloir lui-même embrasser cette voie. La loi de la Presse datée du 29 juillet 1881, mettant fin à la censure et aux sanctions, permet l’éclosion de nombreux petits journaux faisant appel à des illustrateurs pour garnir quotidiennement leurs pages. Les procédés d’impression ayant connu en plus quelques progrès donnent ainsi de véritables opportunités aux artistes souhaitant pouvoir vivre de leur passion. Albert Guillaume laisse ainsi de côté la formation académique pour se vouer corps et âme à la caricature de presse. Ces nouvelles revues truculentes dans lesquelles on se moque vertement de toutes les classes sociales (et notamment bourgeoises), font la joie de la société. Des journaux satiriques tels que « La Caricature », « l’Année fantaisiste » ou le « Journal Amusant », font chaque jour carton plein. Albert Guillaume, quant à lui, fait ses premières armes et trouve véritablement un lieu d’expression correspondant à son caractère espiègle.
Chez lui, la taquinerie et la bonne grâce s’alliaient à une surprenante exactitude. Les milieux qu’il mettait en scène, il les connaissait admirablement, il en était ».
Hommage du Figaro Magazine.

La réciproque est vraie. Illustration du journal Le Pele-Mele, 1900

Illustration du Journal le Rire, Allbert Guillaume, 1904

Le monde du livre !
La presse apporte à Albert Guillaume une certaine notoriété et un confort de vie non négligeable. A la même époque, tous les artistes ne peuvent se vanter de pouvoir vivre pleinement de leur art. Mais malgré la reconnaissance et l’admiration des lecteurs des revues, Guillaume s’intéresse de plus en plus au milieu littéraire. Des éditeurs et bien d’autres personnalités rencontrées durant les innombrables salons parisiens lui ont certainement permis de mettre un pied dans ce nouveau monde. Il pourra ainsi piocher dans sa mémoire et son propre vécu pour dessiner des scènes savoureuses se déroulant dans un univers militaire. Guillaume s’en souvient pour avoir lui-même fait son service dans le 130e régiment. Cela se verra notamment dans « Mes campagnes, mes vingt-huit jours ». Dans ces dessins, Albert Guillaume s’intéresse aux scènes de la vie quotidienne, tout en prenant un malin plaisir à les tourner au ridicule. Vrai ou faux, cela provoque le rire et si ces derniers sont souvent moqueurs à l’encontre des officiers, ils participent aussi à véhiculer l’image du fantassin comique n’ayant aucune affection particulière pour l’armée. En définitive, le spectre de la Première Guerre mondiale est encore loin et il est encore l’heure de savourer les derniers instants de paix de la Belle Époque.


L’univers mondain n’est pas en reste et prend également forme grâce aux traits malicieux d’Albert Guillaume. Les occasions ne manquent pas et Guillaume sait de quoi il traite puisqu’il fait lui même partie de cette société parisienne et bourgeoise. Les bals, les soirées, les salons, les restaurants, deviennent ses lieux de prédilection pour représenter des couples dysfonctionnels et souvent drôles à leurs dépens. C’est ce qu’on appelle le ridicule de la vie en société ou la satire sociale. Tout le monde en prend pour son grade et les sourires sont nombreux à apparaître en découvrant les illustrations présentes dans « Madame est servie » ou « Étoiles de mer ».


Les publicités
En essayant de se faire une image de la Belle Epoque, il n’est pas rare de visualiser les anciennes publicités pleines de couleurs, de vie et d’humour. La photographie n’étant encore qu’à ses balbutiements, les entreprises de l’époque font appel aux dessinateurs et caricaturistes comme Albert Guillaume pour s’adresser à leur clientèle. C’est un domaine en véritable expansion grâce à la lithographie permettant un panel non exhaustif de possibilités en termes de colorimétrie et de qualité des détails. Beaucoup de marques de spiritueux figureront parmi ses plus grands et célèbres partenaires. Albert Guillaume réalisera également d’autres travaux plus insolites, comme des calendriers, un éventail, des brochures ou des menus de restaurants. Je vous laisse découvrir quelques-uns de ses petits chefs d’œuvre datant pour la plupart de ses débuts.



Le peintre
« Sans visée politique ou philosophique […], je commençai une longue série (plus de 300 en 1914) de petits tableaux sans prétention autre que d’amuser le public en fixant la mode et les manies du jour ».
Albert Guillaume
L’exposition Universelle de 1900 marquera un véritable tournant dans la carrière d’Albert Guillaume. En étant médaillé, il jouira d’une reconnaissance dans le milieu de l’art. Cette notoriété lui offrira d’ailleurs des nouvelles opportunités permettant plus de projets avec dans la Presse, les livres et les publicités. Mais en 1904, Albert Guillaume entame une carrière dans la peinture sans pour autant couper les ponts avec les milieux qui lui ont permis de devenir célèbre. Il exposera ses oeuvres chaque année à la Société Nationale des beaux-arts jusqu’en 1939. Ses oeuvres resteront marquées par sa vision critique et bienveillante de la société. Nous retrouverons encore ses sujets d’étude préférés tels que les femmes représentant la douceur et la gaité. Les hommes, quant à eux, restent d’éternels naïfs un peu benêts. Il s’attaquera également à une toute autre espèce de la société : les politiciens. Trouvant en eux de parfaites caricatures, il les mettra sur ses toiles avec une justesse et une ironie lui étant propre. En tout cas, le public continue d’être conquis et de rire en découvrant ses toiles. L’un des amis d’Albert Guillaume le confirmera d’ailleurs.
« Albert Guillaume est par excellence le peintre humoriste de Paris (…). Son crayon nous conduit partout: des coulisses du théâtre à celles de la politique, de la caserne à l’atelier d’artiste, de l’intérieur bourgeois au cabinet particulier, de la salle de jeu au cabinet de toilette, des pouilleuses fortifications aux plages à la mode ! »
Maurice Haloche




La guerre et la caricature
Lorsque la première guerre mondiale éclate, il n’est plus question de moquer les fantassins français. Albert Guillaume change son fusil d’épaule et il participera à sa façon à l’effort de guerre. Renouant avec la presse qui lui permettra de diffuser ses dessins jusque dans les tranchées, il n’aura de cesse de caricaturer l’ennemi. Il essaiera également d’illustrer la vie des français durant cette période troublée. Plusieurs journaux comme la Baïonnette ou le Rire rouge se serviront de ses dessins. Voici des exemples ci-dessous justement ! L’illustration du « Menus de guerre » est particulièrement drôle et tragique à la fois. Il suffit de lire les lignes de dialogues pour s’en rendre compte
« Pas de viande… plus de pomme de terre… «
Albert Guillaume, menus de guerre, la Baïonnette, 1917



Postérité
« Le célèbre crayon n’exercera plus sa verve, d’ailleurs démodée, sur les salonnards, de la haute noce, de tous les snobismes dont il fut le satiriste amusant et cruel. »
Abel Verdeau, 15 août 1942
Albert Guillaume meurt d’un cancer le 10 août 1942. La Seconde Guerre mondiale semble éclipser la disparition de ce grand caricaturiste. Il recevra pourtant de la part de ses anciens amis de nombreux éloges tel que celui de Louis Gillet, ancien voisin de sa maison de campagne et historien d’art. Ce dernier dira d’ailleurs de lui « Qui eut dit que cet homme fameux, ce Parisien, cet humoriste dont les dessins faisaient florès dans les grands quotidiens, vivait comme un bourgeois retiré dans un trou de village, ce hameau de Fontaine-les-Cornus, dont le nom, dans ses légendes devenait quelque chose de saugrenu et de proverbial comme celui de Fouillies-les-Oies ». Plein de tendresse et de respect à l’égard de cet artiste disparu, son nom traversera les prochaines décennies. Il sera étudié, imité et servira d’influence pour de nombreux dessinateurs se lançant dans le merveilleux art de la bande dessinée. Il suffira de voir la castafiore dans Tintin pour se remémorer les nombreuses bourgeoises présentes sur les peintures amusées d’Albert Guillaume. Une exposition à Senlis, en 2000, le célèbrera. Un livre sera même publié à cette occasion. Si ses œuvres sont aujourd’hui assez visibles et accessibles sur internet, il faut néanmoins avouer que Guillaume fait malheureusement partie de ces artistes un peu oubliés et uniquement ressortis lorsqu’il est nécessaire d’imager l’incroyable période appelée Belle Époque.


