A&L : Lettres à un jeune poète

Je souhaiterais aborder un livre qui m’a profondément marqué. Celui-ci s’intitule Lettres à un jeune poète. Je ne l’ai découvert que très récemment via l’intermédiaire d’un ami poète et philosophe. Cette recommandation était arrivée suite à une conversation sur mes interrogations et mes envies profondes de devenir auteure à plein temps. Naturellement, lorsque l’on souhaite vivre de sa passion, des craintes viennent s’immiscer dans la motivation et le courage de franchir le pas manque. A travers ce récit, j’ai néanmoins pu découvrir une conversation entre deux jeunes hommes passés maître et apprenti en l’espace de quelques lettres, puis amis.

Le premier n’est autre que le poète Rainer Maria Rilke dont quelques poèmes sont déjà venus égayer plusieurs soirées de lecture. Le second, Franz Xaver Kappus, est un jeune homme d’une vingtaine d’années, cadet dans une école militaire et se destinant à la carrière des armes. Ce dernier est pourtant tiraillé entre ses envies profondes d’assouvir sa passion en écrivant de la poésie et celle de mener une brillante carrière dans l’armée austro-hongroise. Ces deux destinées étant plus qu’opposées, le jeune homme décide de prendre sa plume et d’écrire à Rilke pour lui demander conseil.

« Je n’avais pas encore vingt ans et j’étais sur le point d’embrasser un métier que je ressentais comme exactement contraire à mes inclinations « .

Les deux hommes s’échangeront plusieurs lettres et établiront une véritable correspondance. Rilke, alors âgé de 27 ans seulement, s’échinera à devenir un maître de pensée pour aiguiller le jeune Franz Xaver Kappus à trouver sa voie. Il tâchera de le rassurer sur divers points au gré de ces échanges abordant bien d’autres thèmes que la seule création poétique. Plusieurs citations pourraient probablement donner un aperçu global des conversations, mais je ne pourrais que conseiller la lecture entière de ces échanges. Je n’ai malheureusement pas eu accès à la version rééditée (avec les lettres de Kappus), mais celle avec les lettres envoyées par Rilke m’ont néanmoins permis de découvrir l’étendue de ses pensées.

« Vous êtes si jeune, en quelque sorte avant tout début, et je voudrais, aussi bien que je le puis, vous prier, cher Monsieur, d’être patient à l’égard de tout ce qui dans votre cœur est encore irrésolu, et de tenter d’aimer les questions elles-mêmes comme des pièces closes et comme des livres écrits dans une langue fort étrangère. Ne cherchez pas pour l’instant des réponses, qui ne sauraient vous être données car vous ne seriez pas en mesure de les vivre. Or il s’agit précisément de tout vivre. Vivez maintenant les questions. Peut-être vivrez-vous par la suite et petit à petit, sans vous en apercevoir, en ayant, un jour lointain, pénétré au sein des réponses ».

De toute évidence, ces conseils prodigués ne s’adressent plus seulement au jeune cadet militaire. Ils peuvent parler à des générations entières de jeunes et moins jeunes cherchant un sens à leur existence. Ils permettent, en effet, de nous aider à comprendre nos désirs profonds tout en gardant à l’esprit que nous devons faire notre chemin et nos propres erreurs.

Si votre vie quotidienne vous paraît pauvre, ne l’accusez pas; accusez-vous plutôt, dites-vous que vous n’êtes pas assez poète pour en convoquer les richesses.
Pour celui qui crée, il n’y a pas, en effet, de pauvreté ni de lieu indigent, indifférent.

Rilke ne se fait jamais moralisateur et n’use jamais de démagogie. Il essaye seulement de parler à un jeune homme tiraillé par de nombreux doutes et s’évertuant à trouver en lui le courage de devenir poète. Sur ce point, Rilke utilisera des mots simples et réconfortants.

« Je sais, votre profession est dure, elle est en pleine contradiction avec vous-même ; je prévoyais votre plainte et savais qu’elle se manifesterait. Maintenant qu’elle s’est exprimée, je ne puis pas vous apaiser, je ne puis que vous conseiller de réfléchir : toutes les professions ne sont-elles pas pleines d’exigences, pleines d’hostilité à l’égard de l’individu, tout imprégnées en quelque sorte par la haine de ceux qui sont restés muets face au devoir objectif et s’y sont pliés en maugréant. La condition au sein de laquelle il vous faut désormais vivre n’est pas plus lourdement grevée de conventions, de préjugés et d’erreurs que toutes les autres, et s’il en est certaines qui font montre d’une plus grande liberté, il n’en est aucune qui offre par elle-même de l’ampleur et de l’espace ni qui soit en relation étroite avec les grandes choses dont est faite la vraie vie ».

J’aimerais également ajouter que de nombreuses pensées féministes et progressistes viennent égayer ces lettres.

Un jour la jeune fille sera là, la femme sera là, et leurs noms ne voudront plus seulement dire opposition au masculin, mais quelque chose pour soi, qui ne soit pas à penser comme complément et frontière, mais fera penser à la vie, à l’existence : l’être humain féminin.

Ces lettres seront éditées en 1937 sous la forme d’un petit livre. Il faudra ensuite attendre 1987 pour qu’elles puissent passer à la postérité et faire de Rilke un véritable maître de la pensée en plus d’un poète. Celui-ci n’aura pourtant jamais connaissance de ce succès puisqu’il décédera en 1926 à l’âge de 51 ans. Quant à Franz Kappus, ce dernier fera une carrière militaire de 15 ans avant de devenir finalement écrivain, journaliste et… poète !

L.Ak

2 réponses à “A&L : Lettres à un jeune poète”

  1. Magnifique article, d une profonde justesse, et qui décrit parfaitement le cadre de leurs échanges. On comprend mieux après cette lecture l empressement du jeune poète, en pleine hésitation existentielle …
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